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Portuguese Pioneers Of Vietnamese Linguistics

Pionniers Portugais de la Linguistique Vietnamienne Jusqu’en 1650

by
Roland Jacques

2002 408 pp., bibliography. 24.5 x 17.5 cm. Softbound.

ISBN-10: 974-8304-77-9 $36.00
ISBN-13: 978-974-8304-77-9



Book review by Claude Lange

REVUE D’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE (Collège Érasme, Louvain-la-Neuve, Belgium), No. 100/3-4 (2005) « Comptes-rendus » [pp. 846-1129]: pp. 1025-1028


Cet ouvrage est issu d’un mémoire pour l’obtention du D. E. A. présenté en novembre 1995 à l’I.N.A.L.C.O. (Langues orientales) de Paris que l’A. a revu en s’appuyant sur des recherches ultérieures. Il est divisé en deux grandes parties.
   Le Livre I traite des pionniers portugais de la linguistique vietnamienne jusqu’en 1650. Après avoir rappelé le rôle du Père Alexandre [p. 1026] de Rhodes, considéré comme le « père du Quôc Ngû’ » (langue vietnamienne écrite avec des caractères latins) par de nombreux spécialistes, Vietnamiens et Français, l’A. souligne que le P. de Rhodes a bénéficié des travaux de nombreux précurseurs de la romanisation du vietnamien chez les missionnaires portugais. Certes, le P. de Rhodes, avignonnais, était sujet du pape et francophone. Étant jésuite et relevant du Padroado portugais, il parlait le portugais. Son dictionnaire annamite, portugais et latin, fut publié à Rome en 1651, ainsi que son « catéchisme pour ceux qui veulent recevoir le baptême, divisé en huit journées »; ses récits de voyage, comme l’ « Histoire du Royaume du Tunquin », furent publiés à Lyon (1651). Il eut alors l’appui du roi de France et en recherchant des prêtres volontaires français pour la Mission au Vietnam, relevant de la Propaganda Fide; il joua un rôle dans l’envoi des Premiers Vicaires apostoliques et des missionnaires des Missions Étrangères, pour le Vietnam et l’Extrême-Orient.
   Dans une première partie, l’A. étudie des manuscrits de la collection Jesuitas na Asia; il s’agit d’Archives de la Compagnie de Jésus, pour l’Extrême-Orient, conservées à Macao et dont des copies ont été envoyées à l’Académie royale d’histoire portugaise. Après la suppression de la Compagnie de Jésus par le Portugal, en 1759, des copies d’originaux et des Archives d’originaux furent envoyées à Manille. Certains de ces manuscrits ont été conservés à la Biblioteca da Ajuda, à Madrid.
   La lettre de Francisco de Pina fait partie du volume coté 49/V/7 de la collection Jesuitas na Asia. Elle a trait à des études sur la langue vietnamienne. Cette lettre de 7 pages, rédigée en portugais, comporte des expressions latines, des mots japonais et des mots vietnamiens « translittérés ». Il ne s’agit pas encore de romanisation au sens strict. L’intérêt de cette lettre est qu’elle parle des progrès du christianisme dans la province de Ké Cham, Quang Nam, en particulier à Tourane et à Hôi An. L’auteur, le P. de Pina, parle de ses préoccupations pour assurer aux missionnaires une solide initiation à la linguistique et à la langue vietnamienne. Il travaille à la création d’un traité de phonétique, d’une grammaire, de recueils de textes vietnamiens. Il traite aussi des relations avec les chrétiens japonais de Hôi An, où avait longtemps existé un comptoir commercial japonais. La romanisation possible de la langue doit suivre une étude de la langue sino-vietnamienne (nom = caractères vietnamiens, différents des caractères chinois). R. J. date cette lettre de 1622 ou 1623. Francisco de Pina, arrivé en Cochinchine en 1617 (ou 1618), a travaillé à Tourane et sa région, où il meurt accidentellement en 1625. Le groupe des jésuites de la mission de Cochinchine compte, vers 1623, quatre prêtres (3 Portugais et 1 Italien) et quatre « coadjuteurs temporels » (1 Portugais, 1 Chinois et 2 Japonais). Seul le P. de Pina paraît être un précurseur de la « romanisation ». Mais un coadjuteur jésuite japonais, Paulo Saitô, a travaillé plus tard avec le P. de Rhodes.
   Le deuxième manuscrit étudié est intitulé Manuductio ad linguam tunckinensem. Il s’agit d’une initiation à la langue du Tonkin. Le manuscrit, écrit en latin et en Quôc Ngû’, comprend 22 pages, dans le vo-[p. 1027]-lume 49/VI/8 de la collection Jesuitas in Asia. Il est destiné à des étrangers voulant apprendre le vietnamien. Il initie à l’étude « des tons » vietnamiens. Les lettres de l’alphabet (latin) sont présentées en 14 sections, avec leur prononciation et des exemples en vietnamien. Il renferme aussi des « Dialogues » et des « Locutions » et comporte beaucoup d’exemples avec des listes d’expressions. R. J. compare la Manuductio avec la Lingua annamiticae seu tunchinensis brevis declaratio (Brève description de la langue annamitique ou tonkinoise) du P. de Rhodes, annexée à son dictionnaire. Le texte du P. de Rhodes permet de préciser le texte de la Manuductio sur la prononciation d’un certain nombre de phonèmes. La Manuductio comporte des précisions originales sur le graphisme « a » avec un accent bref et sur la palatisation de finales « ch » et « nh ». Quant à l’auteur de la Manuductio, il s’agirait d’un jésuite, Suisse alémanique, Onofre Borges, missionnaire au Vietnam de 1645 à 1663. Tout au moins, selon R. J., c’est la seule hypothèse vraisemblable. Ainsi les travaux de Borges seraient à situer entre 1645 et 1658 et ceux de Rhodes entre 1645 et 1651 et les deux jésuites ont pu avoir recours à des travaux linguistiques antérieurs ou à des Pères jésuites linguistes de Macao et ils ont pu bénéficier de méthodes des premiers Pères jésuites destinés au Japon et arrivant au Vietnam.
   Les « Principes et méthodes de Francisco de Pina » sont minutieusement étudiés dans la deuxième partie du Livre I. Le texte de la lettre de Francisco de Pina est donné intégralement en traduction française (p. 241-246). Le problème de l’élaboration du Quôc Ngû’ à partir des langues européennes est posé. Les missionnaires européens du Padroado sont portugais, espagnols, italiens, français… Pour l’A., aucun Espagnol n’a participé à l’élaboration du Quôc Ngû’. Le P. de Rhodes, de culture française, n’a fait qu’une référence au français avec le phonème « ng ».
   Par contre, le Quôc Ngû’ peut être influencé par l’italien dans les graphèmes « ghe », « ghi » et « gi ». De fait, des Pères italiens comme Francesco Buzomi et Christoforo Borri ont travaillé au Vietnam. Mais il existe une relation historique privilégiée entre la langue portugaise et le Quôc Ngû’, selon l’A. Depuis les voyages des Portugais, dès le 16e s., de nombreux linguistes avaient publié des dictionnaires et grammaires sur les langues amérindiennes ou sur les langues de l’Inde et de l’Extrême-Orient. Les jésuites Matteo Ricci et Michèle Ruggieri avaient rédigé un dictionnaire manuscrit portugais-chinois. Il s’agit de la première transcription de caractères chinois avec l’alphabet latin. Les études linguistiques étaient très développées au Collège de Macao. Il est certain que la Lettre de Francisco de Pina comporte le projet de rédiger des travaux de grammaire, de syntaxe et peut-être d’un catéchisme en Quôc Ngû’. Ces projets ne furent réalisés qu’un quart de siècle plus tard, par le P. de Rhodes, mais il y avait déjà eu des publications de catéchismes au Tonkin à Ke Cho (Thang Long) dès 1632.
   Le livre II donne la traduction française de la Manuductio ad linguam tunckinensem (p. 297-325) avec l’étude des « accents » (tons) de la langue vietnamienne, et des études sur les lettres de l’alphabet latin et leur prononciation dans la romanisation, avec des exemples et des [p. 1028] études sur les noms, les dialogues, les expressions. Le texte latin de la Manuductio (édition critique) est présenté intégralement et annoté (p. 168-199).
   Dans l’annexe III, R. J. donne une analyse de la phonétique vietnamienne dans la Brevis dedaratio d’Alexandre de Rhodes et la Manuductio ad linguam tunckinensem. Il s’agit d’une étude magistrale où sont comparés le système des voyelles, des diphtongues, des semi-voyelles, des consonnes. Dans les chapitres et les sections correspondantes sont soulignées les ressemblances et les différences entre le texte de la Manuductio et celui de la Brevis declaratio du P. de Rhodes.
   L’A. insiste, en conclusion, sur l’importance capitale de la langue portugaise et de sa phonétique, pour la construction du Quôc Ngû’. Tout en reconnaissant le rôle important du P. de Rhodes, il insiste sur le fait que la Munuductio ad linguam tunckinensem est contemporaine de la Brevis declaratio. De nombreux locuteurs vietnamiens et missionnaires étrangers ont contribué à l’utilisation du Quôc Ngû’, considéré au 20e siècle comme l’écriture nationale du Vietnam.

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